Je suis. A même ma peau, une
chemise de chez ETON, un caleçon DOLCE GABANNA, mes chaussettes
PIER JUAN, une cravate YVES ST LAURENT, mon costume sombre HUGO BOSS
en soie et lin, mon manteau de chez MARC JACOBS en cachemire, mon
écharpe en soie et laine de Patagonie de MORESCHI, ma
BREITLINGS Datora, , une touche d’huile parfumée de Narciso
RODRIGUEZ, mon stylo-plume Montblanc et mon I phone APPLE. Je suis
prêt et je suis.
Je démarre mon 4X4 ML. Ma
compagne se glisse sobrement à mes côtés, sa coiffure
délicatement relevée sur un carré HERMES et ses
pendantes BULGARI soulignent son cou gracile. Ses lèvres sont
retouchées d’un CHANEL rouge vif. Bel animal. Elle croise les
jambes et ses bas crissent intentionnellement. Sa main manucurée
se pose sur mon genou. Elle me regarde tendrement. Je suis.
Le moteur ronronne. Elle aussi. La
musique emplit l’habitacle : les quatre saisons de Vivaldi, enfin je
crois. Cela s’accorde merveilleusement avec le cuir de ma voiture. Ce
soir, nous dinons chez mon avocate, mon amie. Je lui présenterai
bientôt ce nouveau comique qui fait un tabac dans la région
et dont je suis allé voir le spectacle à Paris. Mon ami
aussi. J’ai quelques photos de lui sur mon I phone. Auparavant je
vais allé acheter ce tableau de Jorg ZWENN que j’ai pris
soin de réserver vendredi dernier. Une scène de
tauromachie dont les couleurs à dominante rouge s’accorderont
parfaitement avec l’intérieur de mon salon. Je collectionne
ce type de tableau. J’ai un bon système d’alarme pour protéger
ma propriété. Il faut bien cela. Mes péquenots
de voisins n’ont aucun sens civique. Ils seraient incapables de
réagir si on venait me cambrioler.
Je me gare. Je suis à cent
mètres de la boutique. Impossible de trouver une place plus
près avec toutes ces voitures poubelles qui encombrent les
parkings. Ma portière se referme avec un bruit sourd. Ma
compagne tarde à descendre et se tord le pied avec ses hauts
talons. L’idiote. Nous nous dirigeons vers la galerie. Une fille
d’une vingtaine d’années est assise sur le trottoir. Une
casquette sur ces cheveux blonds courts, quelques piercings, elle tend
la main, mendie. Quelle loque ! Mon regard glisse sur ce déchet.
Elle n’a qu’à travailler : ramasser les fruits, faire des
ménages, servir à Mac DO au lieu de se faire enfiler
par tous les zonards du coin. Elle n’existe pas. Moi je suis.
J’entre dans la boutique. Le gérant
est charmant. Un pull noir ras du cou sous une veste légère.
Les cheveux ras, poivre et sel. L’anneau qu’il porte à
l’oreille correspond à merveille avec son job. Il me tend une
main chaleureuse et me salue par mon nom. La toile est prête,
encadrée comme je l’ai souhaité et protégée
pour le transport. Cet homme est un professionnel. Je remplis le
chèque, avec mon Montblanc, bien sûr. Pas besoin de
présenter une pièce d’identité. J’ai un nom. Je
suis.
Retour à la voiture. La
« cloche » est toujours sur le trottoir. Un
étudiant lui donne une pièce et lui dit quelques mots.
Une larve aussi. Ma compagne met la main dans son sac. Mon regard
l’arrête. J’ignore ce rebut. Après avoir acheté
une bouteille de RUINART Blanc de Blanc et une orchidée nous
arrivons chez mes amis. Je vois qu’ils apprécient notre
arrivée. Le repas est excellent. Nous parlons de nos voyages
passés, des vacances à venir, de ma nouvelle voiture,
de chasse, de la reprise prochaine des agences immobilières de
mes parents qui viendront s’ajouter à celles que j’ai
développées dans la région. Bien sûr nous
évoquons cette affaire qu’elle défend pour moi. Cette
comptable que je vais réussir à faire craquer pour
qu’elle démissionne. Sa plainte pour harcèlement moral
ne tiendra pas, elle ne résistera pas, elle n’a pas les reins
assez solides pour cela.
Charmante soirée. La voiture
ronronne sur le chemin du retour. Ma compagne s’est endormie, la tête
en arrière, la bouche ouverte. Bel animal. Je suis.
………//////////……..
La voiture glisse
doucement sur cette route sinueuse et s’élève
inexorablement. Les phares balaient les talus herbeux et figent les
lapins surpris par leur faisceau. Le ciel est dégagé,
quelques nuages isolés habillent d’un tissu diaphane à
l’astre nocturne. Mon chien est impatient, il jappe doucement et
m’empêche de me concentrer sur ce morceau de Mozart
« l’Égyptien » de Courson quatuor en fa, mais
mes mains accompagnent le doux mélange oriental exprimé
par les clarinettes, les cordes et les percussions. Un rapace
nocturne m’offre son vol lourd et laiteux. Merci.
Je suis presque arrivé.
Je me gare à l’entrée de ce carrefour de sentes oubliés
d’un quelconque calvaire. Mon chien libéré du coffre
prend la mesure de cet espace. Vêtu d’un pantalon et d’une
veste de toile sombre je resserre les lacets de mes chaussures de
marche. Je prends mon sac à dos de petite randonnée
dans lequel j’ai pris soin de placer une bouteille de Sauterne et un
verre à pied.
La lune pâlit
l’orée de cette forêt de sapins majestueux. Un souffle
d’air m’apporte un bouquet de parfum nocturne, mélange humide
de terre, de sève et de feuilles fraiches. Je pénètre
dans la forêt qui peu à peu écrase le plus infime
rayon de lune et pèse d’obscurité sur mes pas étouffés.
J’avance doucement, devinant le tracé du sentier. La terre
m’envoie de chaudes effluves puis me traverse d’une onde glacée
un plus loin. Mon chien se déplace presque en
silence. Est il d’ailleurs encore à mes côtés ?
Une chouette hulule au dessus de moi. J’adore. Une lumière
grise filtre à une centaine de mètres. C’est la fin du sentier. J’arrive
dans cette trouée, ce large cercle dénudé où se dresse un chêne large
et sombre. Il veille, attentif aux murmures de son royaume. Quelques
pierres dressées offrent un refuge sous ses branches. Je pose
mes mains sur son écorce rugueuse et cherche son souffle.
Merci.
Je m’allonge sur l’herbe
rase. Odeur de menthe, de trèfles et d’humus. Le ciel est
piqueté de milliers d’étoiles. Je cherche celles que je
connais. Je suis inculte. Je ferme les yeux, respire profondément,
expire lentement. Mes paumes s’imprègnent de la terre. Ma main
rencontre un caillou rond et lisse. Un pour ma collection. Merci.
Je m’assois. J’ouvre mon
sac je sors la bouteille et le verre. Je savoure le premier verre
après avoir offert quelques gouttes à la terre qui
m’accompagne dans cet échange. Trois verres suffiront dans cet
espace. Je rends hommage à mes hôtes. Il est temps de
repartir. La forêt m’avale et m’expulse comme un nouveau-né
à l’entrée du sentier. Mon chien s’endort sur le
chemin du retour. Un morceau de Vivaldi chanté par Emma Kirby
prolonge l’instant. Merci.
Je ferme la porte
d’entrée. Ma femme, ma compagne lève les yeux de son
livre.Elle comprend, je lui dis ce que j’ai vu, entendu et senti,
elle l’entend. Nous sommes.